Association Cocktail Culture Rots - Newsletter #91
VENDREDI 8 JUILLET 2016
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INTRODUCTION
Une dame, sur la demande insistante de ses petits enfants, relate ce dont elle se souvient durant la seconde guerre mondiale. Elle souhaite rester anonyme.
TEXTE : PARTIE I
A ma petite fille L. qui ce jour me supplie d’écrire quelques lignes sur ce que nous avions vécu pendant la guerre 40-44, affreux souvenirs qui depuis longtemps étaient rangés dans notre bibliothèque mentale.
LITHAIRE
C’était pendant l’occupation. Cela faisait un bon moment, bien avant mes six ans, que j’apercevais avec mes yeux du même âge, des hommes tous habillés de même. C’était une drôle de couleur verte. Ils allaient parmi nous dans nos rues et chemins de campagne; ils avaient même installé un haut grillage qui prenait la place face à l’église. Maman appelait cet endroit «?la commandature?». Ils ne parlaient pas comme nous mais les grands disaient qu’ils donnaient des ordres et que les habitants du village de Lithaire devaient obéir. Obéir, un enfant de mon âge ne savait pas expliquer les choses mais je les pressentais, je les devinais sans poser de questions. Je continuais de jouer.
Il advint que le jour où elle n’eut plus de bougies, maman alluma le soir des petites pastilles posées dans l’eau et emprisonnées à la surface trônant sur une assiette. Leur éclairage était faible, mais cela nous permettait de nous diriger dans la pièce. L’inquiétude m’abandonnait alors, le pétrole se faisait rare, mais malgré tout cela, les jours s’additionnaient.
Pour améliorer l’ordinaire, maman s’était trouvé un emploi à Baupte à 25km de Lithaire. Très tôt le matin elles étaient plusieurs à monter dans un camion. Cela ne me plaisait pas du tout car je craignais qu’elle ne revienne pas. Toute la journée à Baupte, dans les marais asséchés, maman et ses compagnes découpaient des plaques de tourbe qui servaient au chauffage. Elles devaient les entasser dans des wagonnets placés sur des rails. La maladresse d’une de ses compagnes fit qu’un wagonnet la heurta et lui ouvrit le genou droit. Elle fut soignée d’une façon grossière car toute sa vie elle garda sous la peau une poudre noire de la forme de la cicatrice. Adieu les plaques de tourbe qu’elle rapportait avec permission. Ce jour-là j’eus très mal au ventre de la voir couchée et bloquée dans son lit, impossible de se lever. Je la forçais à me faire voir son pansement.
Je devins moins espiègle, je marchais bien dans les fossés comme elle me l’ordonnait afin de ne pas être renversée par un camion. Il me fallait faire seule deux kilomètres pour aller en classe et autant pour revenir. J’aimais aller en classe, tout m’intéressait, mais ce parcours, je le faisais la peur au ventre. Si l’atmosphère était calme, avec mes amies nous tirions nos sabots et nous marchions pieds nus sur la route goudronnée de Lithaire à la Haye du Puits. J’aimais beaucoup cela, quelquefois nous jouions à la toupie et aussi au cerceau. C’était à la sortie de l’école mais ordre était de nous cacher dans le fossé si un avion piquait afin de ne pas être atteintes par la rafale, mais cela n’arriva jamais.
Maman se remettait doucement. Il lui arrivait de se mettre debout et de marcher la jambe raide. Un jour près de la maison, les hommes verts sont là. A plusieurs, ils fouillent le ruisseau, celui qui m’aide à faire glisser mes petits bateaux. «Ils font quoi?» Je me permets d’aller voir, je suis à environ 200 mètres de notre maison, juste derrière eux, ils tiennent des grands tubes ou quelque chose comme cela, ils ne parlent pas comme nous. Un des hommes s’aperçoit de ma présence et prononce un «raousteveck» guttural qui me fera fuir vivement et secouera longtemps mes 5 ans.
Depuis quelques temps, des engins font du bruit dans le ciel, ils rasent même nos arbres, les grands les appellent des avions. Une fois maman vient voir appuyée sur le balai, la brosse calée sous son bras. Elle marche de mieux en mieux et moi je respire mieux. De dessous des avions sortent des papiers blancs, beaucoup, beaucoup, ils vont se nicher partout dans les arbres, dans les jardins, sur nous. Les voisins ainsi que les miens lisent ce qui est écrit dessus. J’entends «tracs et débarquement". Je ne comprends rien, rien. J’ai très peur.
Je pars tous les jours à l’école et j’ai peur sur le chemin. La route est longue à pieds pour mes petites jambes, mais j’y vais. J’ai 6 ans, j’apprends à lire, à écrire, à compter, tout m’intéresse «pas sotte» dit la maitresse à maman. Je rase chaque jour le grand grillage de la commandature, je passe «raide» devant un homme vert qui tourne près du grillage. Depuis deux jours, il m’appelle gentiment «coming, coming»; je l’ignore, ordre est donné par maman de ne pas leur parler et de rien prendre d’eux. Peut-être que le lendemain, je ne sais plus, de loin j’ose lever les yeux sur lui, il m’appelle «coming, coming» à travers le grillage il me tend un bout de pain, d’un geste rapide je lui arrache, je me mets à courir vers l’école. Comme il était bon ce pain serré et brun, mais j’avais désobéis.
Malgré les évènements la vie continuait, ma vie d’enfant inconsciente mais anxieuse se passait bien. Ma sœur ainée avait été placée à Caen sous le contrôle de cousins; elle avait presque 17ans, elle me manquait beaucoup, c’était ma deuxième mère.
Nous avions du mal à vivre; aussi les nèfles des haies, les fraises des bois, les vignottes sauvages, tout était délicieux et améliorait l’ordinaire pour une petite sauvage. Il nous arrivait de partir à la mer, maman nous portait le pain, le beurre de chez la tante M. M. et installés sur les rochers, nous mangions crus les moules, les coques, les chapeaux chinois. C’était bon pour des marcheurs qui venaient de faire 4 à 5 kms à pieds. Les coquillages je les préfère toujours ainsi en tous cas, presque pas cuits.
Maman élevait des lapins. Nous allions Dédé et moi à la recherche d’herbe, pas trop loin, tout éloignement de la maison m’était pénible, sauf pour aller à l’école. Le soir, nous étions nourris d’une soupe appelée panade. Elle cuisait longtemps à la cheminée dans le chaudron. Il y avait du lait entier, des croutons de pain complet, du sucre cassonade et de la crème ajoutée au dernier moment. Le tout était accompagné d’un gros morceau de beurre, c’était tout simplement délicieux pour une espiègle au ventre affamé. Le lit s’en trouvait plus doux et là mon inquiétude disparaissait.
Ma sœur M. aidait maman. Une nuit avant que G. parte pour Caen, nous étions tous couchés dans la même pièce répartis dans les deux lits de coin. M. avait des problèmes de digestion, aussi maman brava l’interdit et alluma une petite bougie pour mieux situer la chose. Par malchance, deux hommes verts patrouillaient et frappèrent si fort à la porte que j’en tremble encore. Avant d’ouvrir la porte, maman cacha ma sœur ainée sous le lit de plumes lui interdisant de bouger. Pourquoi? Je ne le savais pas. Elle leur ouvrit la porte et leur fit voir Madeleine qui rejetait son repas dans une cuvette. Dédé et moi regardions bouche bée ces deux Allemands qui étaient visiblement en colère. Quand je vis un des deux hommes prendre le bras de maman et voulant l’attirer dehors, tel un chat, je bondis du lit et grimpas dans ses bras et tremblante mais hardie je repoussais l’Allemand en criant «Maman!». Oh que j’avais peur, je pensais qu’il voulait nous la prendre. Cela fit réagir le second qui surpris fit rapidement sortir le coéquipier. «Ya Ya» prononça- t-il. Ils partirent et la petite famille retrouva son calme. Des années après, j’ai compris. Je remercie cet honnête soldat ennemi qui sauva maman et sa famille de la honte.
UNE GROSSE BETISE
Après cet évènement, je percevais les choses de mieux en mieux. Je devins plus réceptive, je compris ce dont ces hommes étaient capables. Je n’aimais pas du tout qu’ils touchent à nos ruisseaux, à nos chemins, qu’ils grimpent sur le Mont-Castre et qu’ils nous houspillent vertement. Sans le savoir, j’étais patriote et je leur fis savoir un jour. Avec maman nous sortions de chez le boulanger et maman tenait son gros pain dans les bras. J’en profitais pour la semer et grimper précipitamment sur un mur. Devant un groupe de soldats qui passait aux pas cadencés, je lançais «vive de Gaulle, à bas les boches!» et je levais les bras en V, signe de victoire. Stupéfait, l’homme de tête arrêta net ses soldats et envoya l’un deux vers nous. Maman pleurait déjà et moi aussi. Je venais de comprendre que j’avais fait une grosse bêtise. Le soldat traversa les quelques mètres qui nous séparaient et pointa son fusil sur le ventre de maman, puis sur le mien et ainsi de suite en disant dans un mauvais français «qu’a dit petite fille?» «Rien, rien dit maman». D’un ton sévère et en nous pointant de l’index il répondit à maman «vous chance car moi Polonais allemand sinon, vous et petite fille, couper cabèche» il nous quitta vivement et regagna le groupe et tous partirent. Ne jamais parler devant les enfants!
Cet acte patriotique me marqua beaucoup. Maman n’avait pas apprécié et je fus sermonnée pendant le retour. J’avais tort, dans ma tête d’enfant j’étais honteuse, je pensais aux plantes qui poussaient au pied du mur sur lequel j’étais grimpée. Par la suite, en allant à l’école je les regardais souvent, elles avaient été témoins de mon inconscience.
Arrivée à la maison tout cela fut raconté à mes deux sœurs et à mon frère. Maman leur lança «votre petite sœur a failli nous faire fusiller». Je ne comprenais pas pourquoi. Que voulait dire fusiller pour une petite fille de sept ans innocente de la guerre. C’est peut-être à partir de ce jour que je devins méfiante sur le chemin de l’école. Je baissais les yeux en longeant le grillage de la commandature, mais les jours d’orage, j’étais encore plus terrorisée par l’orage que par la présence de ces étrangers.
J’aimais toujours l’école et d’après la maîtresse, je n’étais pas sotte, ce qui pour mon âge ne voulait rien dire. En plus de l’école, ma joie c’était de grimper partout là où il y avait de la difficulté.
Il advint un jour que maman fut requise de force pour faire la vaisselle à la commandature. Le maire de la commune lui délivra un certificat d’obligation de travail qu’elle garda toute sa vie à cause des représailles.
F.
NOTE
Les illustrations ont été fournies par l'auteure; vous pourrez lire la suite de ce texte dans la prochaine newsletter.
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